"Tu suces après la sodomie ?"
Ce mois-ci, on a discuté avec Valentine et Julia. Elles ont 24 ans et 26 ans, elles sont peintre en bâtiment et ingénieure et exercent ce que beaucoup considèrent encore « des métiers d’hommes ».
Lorsqu’on lui demande ce qu’elle compte « faire » de sa vie, Valentine opte pour une troisième professionnelle qui lui permet de découvrir tous les métiers du bâtiment. Trois ans plus tard, elle passe un bac professionnel Aménagement et finition du bâtiment. « Avec ce bac, tu es censé.e pouvoir gérer 10 à 20 salarié.e.s : des plaquistes, des peintres, des carreleur.euse.s. Tu gères tout : les revêtements muraux, les sols, les plafonds. Tout, sauf la plomberie et l’électricité. », précise-t-elle.
" te mets pas à quatre pattes, c'est comme ça qu'on tombe enceinte. "
« On était la première année où on était beaucoup de meufs dans la promo : 4 filles pour 13 garçons environ. Les remarques sexistes, ça a commencé en stage. Mes deux premiers stages ne se sont pas bien passés. Déjà à l’embauche, quand t’appelles et que t’es une femme, on te fait passer un entretien, alors que les mecs c’est juste : « OK, vous êtes pris en stage ». Moi, j’adore la mode, j’adore me maquiller, donc je me présentais en entretien maquillée et bien habillée. Des remarques sexistes, oui, j’en ai eu beaucoup. », raconte-t-elle. « En première, je n’ai même pas fini mon stage. T’es là, t’es mal à l’aise, on te regarde… On me disait : « fais des plinthes ». Je faisais des plinthes. Pourquoi ? Parce que quand tu fais des plinthes, tu te mets à quatre pattes. Et derrière, on me disait : « Te mets pas à quatre pattes, c’est comme ça qu’on tombe enceinte. » »
À l’époque, Valentine a 16 ans. « Je n’étais pas armée pour faire face à ça. » confie-t-elle. « Dans ce métier-là, il faut constamment faire ses preuves. J’ai parfois dû montrer à mes collègues que je pouvais monter des charges de 15 à 20 kilos au deuxième étage, alors que j’aurais simplement pu demander de l’aide. Mais je devais faire mes preuves, parce que j’étais la fille. Maintenant, on me laisse tranquille. Les gens savent que je travaille bien. Je fais de la manutention seule, je peins des plafonds seule, je monte des échafaudages seule. »
À 18 ans, diplômée, elle se met à son compte. « Après ça, heureusement, j’ai fait un autre stage, avec un super patron, ça s’est très bien passé. Mais j’ai décidé que je ne travaillerais plus jamais pour personne. »
" T'es toute seule ici, on est DIX pélos. "
Sur les chantiers, il faut parfois gérer les hommes, les insultes et les violences sexistes. « Un collègue m’a sorti un jour : « Tu suces après la sodomie ? » Comme ça, sur un chantier. », se rappelle Valentine. « Le pire, ça a été avec un plombier. J’étais à genoux, par terre, en train de faire mes bas de murs et je sentais qu’il me regardait, qu’il était insistant. Moi, j’ai une grande gueule. Je lui ai dit : « T’as pas de travail à faire ? » Et là, le mec me répond : « T’es une femme, t’es toute seule ici, on est dix pélos. Tu vas faire quoi ? » », raconte-t-elle, avant de préciser : « Mon métier, je l’adore. Mais je ne suis pas capable de bosser sur de gros chantiers, de grosses résidences, où il y a 80 bonhommes. Là-bas, quand t’arrives, t’es une bête de foire. Tu peux être sûre que ça va essayer de trouver mon compte Facebook pour m’envoyer des messages.
Valentine se sert de TikTok et Instagram pour faire connaître son travail et, pourquoi pas, inspirer d’autres femmes. « Aujourd’hui, je veux montrer aux gens que oui, je suis peintre, j’adore mon métier et, surtout, je réussis. Moi, je ne me laisse pas faire, j’ai une grande gueule. Et je me blinde. Après, ça fait sept ans que je bosse, et je vois que les mentalités changent. Vraiment, c’est en train de changer. »
" T'es qu'une femme "
Selon les données de la Fédération française du bâtiment, les femmes ne représentent que 12 % des effectifs dans ce secteur. Mais la sous-représentation des femmes et la difficulté pour celles-ci à évoluer sur les chantiers ne lui sont pas propres. Elles ne dépendent pas non plus du niveau d’études.
Julia a 26 ans, elle est ingénieure en mécanique industrielle. Pendant ses études aux Arts et Métiers, elle constate que bien peu de femmes sont inscrites dans la prestigieuse école d’ingénieur.e.s. Elle s’engage alors avec l’association « Elles bougent » et intervient dans des lycées pour présenter sa formation et inciter les filles à s’y intéresser.
Aujourd’hui, Julia est salariée et travaille dans l’aéronautique. Elle se rappelle d’une expérience en stage, dans l’automobile : « Un mec m’avait dit texto : « Ouais, toi t’es ingénieure de rien du tout, t’es qu’une femme » Ça m’avait vraiment choquée, je me souviens que j’avais fini en pleurs dans le bureau du chef d’équipe. C’était vraiment horrible. J’avais eu peur, en fait. Rien que d’en reparler, là, ça me secoue un peu. Et au final, j’ai appris un an plus tard que le mec avait été viré pour violences. Depuis, je n’ai pas été embêtée. Je ne dirais pas qu’il n’y a rien, des fois il y en a qui font des petites blagues, moi j’ai pris le parti de ne pas y faire attention. De ne juste pas réagir, en fait. »